Raising the flag on Iwo Jima

Raising the flag on Iwo Jima

Aujourd’hui  nous allons (encore) parler d’une image de guerre (promis ce ne sera pas le cas à chaque fois). Cette photo est titrée « Raising the Flag on Iwo Jima » (qu’on peut traduire pour les moins anglophones par « levée  de drapeau sur Iwo Jima »). Elle a été prise le 23 février 1944 par Joe Rosenthal, photographe américain de 33 ans qui se qualifiait lui même de «  type qui a  joué en première division, le temps de boire un café ».

C’est le seul cliché à avoir obtenu le prix Pulitzer de la photographie l’année de sa publication (1945). C’est aussi sans doute l’une des images les plus diffusées du 20eme siècle : 3,5 millions de posters, 15 000 panneaux d’affichage, 137 millions de timbres.

Commençons par un peu de contexte historique. Iwo Jima est une île (un confetti de 21 km²) perdue au milieu du Pacifique. Elle se trouve à mis chemin entre le Japon et les îles Mariannes qui servent de base pour les bombardiers  américains. Et c’est là que vont se retrouver, entre le 26 février et le 26 mars,  22 000 soldats japonais (pratiquement tous tués dans les combats) et 30 000 américains.   Les forces américaines subirent 6 821 morts, dont 5 931 Marines (soit environ un quart de l’ensemble des Marines tués durant toute la Seconde Guerre mondiale en seulement 5 semaines), et 19 000 blessés. Un quart de toutes les « Medal of Honor » reçues au cours de la guerre par des membres du « corps des marines » seront attribuées à l’occasion de cette invasion. C’est l’une des batailles les plus profondément ancrées dans l’imaginaire « héroïque » des américains.

Pour la (toute) petite histoire Yamakage Kufuku et Matsudo Linsoki, deux mitrailleurs de la Marine impériale japonaise, ont  continué  à combattre sur l’île, refusant de croire à la défaite de leur armée jusqu’en janvier 1949 (ce qui n’est rien à côté de Hirō Onoda qui combattit aux Philippines jusqu’en 1974).

Joe Rosenthal , jeune journaliste de l’agence américaine Associated Press, est présent sur l’ile depuis 5 jours. Il a déjà pris de nombreuses photos témoignant de la violence des combats.

Photos prise par joe Rosenthal à Iwo Jima

L’histoire de  notre photo du jour , c’est sans doute Rosenthal  lui-même qui la raconte le mieux :

« J’avais déjà beaucoup bourlingué avec les Marines dans différents coins du Pacifique. Nous étions sur Iwo Jima depuis cinq jours de durs combats. Je m’étais absenté sur un navire de la Navy pour développer mes photos. De retour sur la plage, on m’annonce qu’une patrouille vient de partir pour le mont Suribachi, le sommet de l’île. Cette journée était décisive. L’ascension fut rude. Les gars lançaient des grenades pour se protéger des ennemis embusqués. Arrivé au sommet, j’ai vu les premiers soldats planter un petit drapeau. J’ai vu un Marine qui tenait un drapeau beaucoup plus grand sous le bras. Le premier, c’est pour le souvenir, m’a-t-il dit. Celui-ci, c’est pour que les copains le voient de partout. Deux drapeaux, cela aurait annulé tous les effets. J’ai attendu qu’il plante le grand drapeau. Je manquais de recul, la photo risquait d’être mal cadrée. J’ai bricolé une plate-forme de fortune avec des pierres. Il fallait faire vite. Je suis redescendu, le cliché est parti pour New York sans que je puisse le voir. Cinq jours plus tard, j’ai reçu par radio des félicitations d’AP. Ai-je eu le sentiment de réussir un cliché historique ? Pas vraiment. Je ne suis pas une vedette, juste un photographe qui a eu de la chance, le temps d’un instantané. » (interview au  journal le Monde).

Ce jour là deux autres  photos sont prises :

 

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La première représente l’installation du premier drapeau (plus petit que le second). Cette image est capturée par le sergent d’état-major Louis R. Lowery, qui bien qu’étant le seul photographe à avoir couvert 6 grandes campagnes de la 2eme guerre mondiale et avoir  fondé et présidé  l’Association des correspondants de combat du corps des marines restera un quasi inconnu.

Cette  photo raconte sensiblement la même histoire que « Raising the Flag » et pourtant elle n’a pas connu le même succès. c’est sans doute parce qu’au contraire de notre photo celle-ci manque de dynamisme ( les soldats ont l’air figé et pourtant quelques seconde plus tard une grenade explosera prés d’eux). Et oui le sujet ne suffit pas, la technique peut transformer  une bonne photo en une image inoubliable ( mais nous verrons cet aspect plus tard).

Louis R. Lowery en redescendant de la colline  croisa Rosenthal qui montait et lui aurait dit  « tu viens de rater la photo du siècle »

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La seconde, appelé « le cliché de gung-ho » que Rosenthal capture après « Raising the flag ».

Et c’est de ce deuxième cliché que viendra la polémique. En effet quelques jours plus tard, on demanda à Rosenthal si les soldats avaient posé pour  la  photo « raising the flag » mais croyant que la question se référait au « cliché de  gung-ho « , il répondit par l’affirmative (ben oui on peut être un super photographe et avoir un problème de comprenette).

 

La scène  a aussi été filmée par le sergent américain, Bill Genaust, qui fut tué 9 jours plus tard.

Ce film nous confirme la réalité de la version de Rosenthal et surtout que l’action a duré moins de 10 secondes, ce qui rend la composition du photographe vraiment exceptionnelle  au regard des conditions de prise de vue.

 

Alors un peu de technique maintenant.

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Il s’agit d’une photo en noir et blanc (encore !!!)  prise avec un Graflex Speed Graphic .Elle  représente 6 soldats américains portant un drapeau. Rosenthal est proche d’eux au moment de la photo, il se tient debout sur quelques pierres pour prendre ce cliché. La vue est ainsi horizontale (ligne verte). Le plan général permet de comprendre immédiatement ce qui se passe sous nos yeux. Le mât du drapeau trace une diagonale qui coupe la photo en 2 (en dessous la guerre, au dessus l’espoir). La ligne du mât, le soldat agenouillé (qui est sur un point de force) et le sol créent  une croix,  cette composition (géniale)  dirige le regard sur la finalité du mouvement : le drapeau est planté et va être dressé.

L’image est constituée de 3 plans :

  • Premier plan : le sol couvert de débris et de végétaux hachés, symbole de la violence des combats
  • Deuxième plan : les soldats déterminés à vaincre, en train de dresser un mat dont on ressent le poids (le poids de la liberté ?)
  • Troisième plan très clair : le ciel. Celui ci permet à l’image des soldats de se détacher

Cette construction en trois plans permet de mettre le focus sur le sujet de la photo : le combat des soldats pour la liberté. Le premier et le troisième plan représentent la désolation et l’isolement, les soldats représentent, eux, l’espoir d’une victoire et de la construction d’un monde meilleur.

Le triangle, formé par le mât du drapeau, les soldats et la ligne d’horizon donne à cette image une incroyable dynamique

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«  Le tuyau de vingt pieds était lourd, ce qui signifiait que les hommes ont dû forcer pour le mettre sur pied. C’est ce qui crée cette impression d’action », explique Joe Rosenthal .

Au travers de la construction de cette  image l’on peut ressentir l’effort incroyable qu’il est nécessaire à ces soldats pour lever ce drapeau  par son poids bien sur, mais surtout par la dureté des combats qui les ont amenés à grimper les 166 mètres de ce volcan.

La photo illustre l’ensemble des batailles dans le Pacifique qui ont amené les soldats américains depuis  Pearl Harbor (7 décembre 1941) jusqu’à ce premier bout de terre stratégique de japon. Toute la force que ses soldats déploient à lever ce drapeau symbolise que l’Amérique parvient toujours à se relever du désastre.

Et c’est, justement cela, que les politiques américains de l’époque vont  voir dans cette photo.  L’image parvient aux Etats Unis en un temps record (l’internet n’existe toujours pas à cette époque puisqu’Alan Turing vient tout juste d’inventer le premier ordinateur).   Elle fait la une de tous les journaux américains dès le 25 février 1945 soit seulement 2 jours après que Rosenthal  soit redescendu du mont Suribashi (lui ne la verra pour la première fois que le 4 Mars à son arrivée à Guam).

Le président des États-Unis Franklin D. Roosevelt réalisa que celle-ci constituerait un excellent symbole pour la campagne du 7e War Bond, un immense emprunt national lancé par l’État afin que l’épargne privée soutienne l’effort de guerre (26,3 milliards de dollars vont être récoltés, soit  deux fois plus que les objectifs attendus). Le photographe doit rentrer immédiatement à New York, les 6 soldats de la photo doivent être rapidement identifiés .L’identification est difficile, les soldats tournant tous le dos à Rosenthal sur la photo.  Trois d’entre eux sont morts dans les jours qui ont suivi la levée du drapeau (Franklin Sousley, Harlon Block et Michael Strank), les trois autres  (John Bradley, René Gagnon et Ira Hayes) vont être totalement récupérés par la propagande américaine. Ils vont être ramenés aux États-Unis pour qu’ils racontent, dans une gigantesque tournée du pays, leur histoire de combattant  ainsi que l’histoire de ce levée de drapeau. On leur précisa bien sur qu’il était inutile de parler des conditions atroces des combats, comme on ne précisa pas non  plus  que la prise de Iwo jima servi surtout à sécuriser le passage des bombardiers qui  le 9 Mars couvrirent Tokio de près de 1700 tonnes de bombes au Napalm (100 000 morts dans la tempête de feu qui en résulta).

Après la guerre, Bradley resta silencieux à propos de ce qu’il avait vécu, refusant de répondre aux questions des journalistes et affirmant qu’il avait tout oublié. Durant ses 47 années de mariage, il ne parla de son expérience qu’une seule fois, à sa femme, et plus jamais ensuite.  Ira Hayes se retrouve simple indien renvoyé à la misère d’une réserve. Sombrant dans l’alcoolisme, il fait l’objet de nombreuses arrestations et finit par trouver la mort dans un fossé en 1955 en Arizona  (une chanson raconte son histoire « The Ballad of Ira Hayes » chantée entre autre par Johnny Cash).

Alors posons- nous la question, une  photo peut-elle symboliser plus que ce qu’elle ne montre ?

Depuis la nuit des temps, l’homme a voulu représenter  le monde dans lequel il vit (les dessins des premiers hommes dans les grottes). Les Romains ont compris l’importance de l’image et le pouvoir que l’on pouvait en tirer, l’empereur Auguste a élevé un nombre important d’édifices et de statuts à son effigie afin  d’imposer son image et son autorité, voir sa légende ( un autre empereur a  repris à son compte son idée, quelques siècles plus tard,  avec par exemple, le tableau de David «  le sacre de Napoléon »). Avec l’invention de l’imprimerie, l’écrit a pris le pas sur l’image (même si les églises et les palais s’ornaient  toujours de tableaux à la gloire des puissances divines et terrestres).

Ce que l’on voit avec notre photo du jour, c’est le renouveau de l’image grâce à sa conception instantanée  (la photo est quand même beaucoup plus rapide à produire qu’un tableau) combinée à  la puissance de la distribution de masse (presse, timbre, mémorial…). Les images ont envahi  notre vie (journaux, affiches, panneaux publicitaires…), ainsi nos écrans, nos murs sont monopolisés par des images du pouvoir (politique, spirituel ou économique).

En 1950, le philosophe Martin Heidegger a résumé la transformation du monde sous la pression des médias visuels de masse en ces termes : « Le processus fondamental des Temps modernes, c’est la conquête du monde en tant qu’image ».

Que voit  t -on sur la photo de la guerre ? Rien, pas de blessés, pas d’armes, pas de sang, pas d’ennemis. Certains ont su aussi nous convaincre qu’il s’agissait surtout  (aussi ?) du  symbole de la victoire du bien sur le mal (du point de vue américain bien sur).

Joe Rosenthal, lui, n’a vu ce jour là que des centaines d’hommes se faire tuer pour conquérir (ou défendre suivant l’uniforme porté) un caillou perdu dans l’océan. Sur les 40 hommes qui étaient avec lui sur la colline, trente-six furent blessés ou tués avant la prise définitive d’Iwo Jima. Il a vu  six hommes dresser un drapeau au milieu de la mitraille, trois de ces hommes sont morts ce jour là,  trois autres ont connu la gloire puis ont disparu de nos mémoires poussés  dehors par une autre photo, un autre événement.

Alors voici mon conseil du jour, apprécier une photo pour ce qu’elle est. Ne laissez personne (même pas moi) vous dire ce qu’elle signifie. Mais pour comprendre une image (au-delà de la technique), chercher vous-même les réponses, par exemple, dans les autres photos qui montrent  la même réalité mais sous un autre angle ( allez consulter les autres photos de Rosenthal à Iwo Jima » ici et vous verrez que la guerre n’est pas toujours aussi belle et héroïque).

post scriptum

Cette photo connait 2 avatars célèbres reprenant la même thématique nationaliste et héroïque :

  • La photo désormais célèbre prise parTom Franklin sur les ruines des tours jumelles du World Trade Center.

levée de drapeau sur les ruines du World Trade Center (Tom Franklin )

 

  • Le Drapeau rouge sur le Reichstag, de Evgueni Khaldei  une photo-symbole savamment fabriquée (alors là on a une belle photo d’une scène reconstituée, posée et retouchée par les soviétiques pour répondre aux américains).

02 May 1945, Berlin, Germany --- A soldier raises the Soviet flag over the Reichstag during the fall of Germany and the Third Reich. --- Image by © Yevgeny Khaldei/Corbis

02 May 1945, Berlin, Germany — A soldier raises the Soviet flag over the Reichstag during the fall of Germany and the Third Reich. — Image by © Yevgeny Khaldei/Corbis

 

Et puis , pour ne pas rester sur une note trop moraliste, je vous propose une autre version de « raising the flag on Iwo Jima » par Mike Stimpson:

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Et puis, bien sur je vous conseille de voir le film de  Clint Eastwood «  Mémoire de nos pères »qui raconte mieux que moi la bataille d’Iwo Jima (et sa suite « lettres d’Iwo Jima présentant le point de vue japonais de la bataille).

 

Je suis qui moi ??

Nicolas . Je suis un photographe amateur, pas forcement très doué (je vous laisse juge sur mon compte Flickr) mais curieux . Enfant j’ai suivi mon père qui arpentait les rues de Marseille avec son appareil photo autour du cou et c’est à lui que je dois (entre autres) cette passion de la photographie. Je garde des souvenirs grandioses d’après-midis enfermé dans la salle de bain, changée en laboratoire de fortune, à regarder la magie (et quelques produits chimiques) transformer une idée folle, née dans nos têtes, en image.

Alors merci Papa.

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