Dans cette série sur les images et leurs sens, j’avais envie aujourd’hui de lier deux de mes passions, la photo (et les photographes) et la musique.
Pour cette image très connue qui servit de pochette à l’album Abbey Road des Beatles, nous retrouvons un grand photographe anglais des années 60-70.
Iain MacMillan est né en 1938 à Dundee en Écosse, qu’il photographia en 1959, fixant ainsi un monde qui bientôt n’existera plus.
En 1966, c’est en travaillant sur un projet de livre « the book of London » qu’il rencontre Yoko Ono qui lui demande de faire les illustrations photographiques de son exposition à la galerie Indica. C’est là aussi que Yoko va rencontrer John Lennon. La complicité entre les 3 s’établit et John propose à Iain de faire la photographie de l’album qu’il est en train d’enregistrer avec les Beatles dans les studios EMI d’Abbey Road.
Les Beatles se sont rencontrés le 6 juillet 1957 (Ringo Starr lui n’arriva qu’en 1962). John Lennon résume ainsi la naissance du groupe « plus populaire que Jésus »:
« Il était une fois trois petits garçons nommés John, George et Paul, c’était leurs noms. Ils décidèrent de se mettre ensemble parce qu’ils étaient du genre à se mettre ensemble. Pourquoi étaient-ils ensemble, se demandèrent-ils, pourquoi après tout, pourquoi ? Alors ils se mirent à faire pousser des guitares et fabriquèrent un bruit. Bizarrement, personne ne fut intéressé, et les trois petits hommes moins encore que tout autre. »
Les Beatles enregistrent leur premier album (après de nombreuse années de galères entre Liverpool et Hambourg) en 1963 « Please, Please Me ». C’est le début d’une décennie comme aucun autre groupe de rock n’a connu :
- 12 albums studio entre 1963 et 1970 soit un rythme incroyable aujourd’hui de 2 albums par an (sans compter les dizaines de variantes internationales). Cinq de ses albums seront classés dans les 15 meilleurs albums de tous les temps (N°1 sgt pepper’s lonely hearts club band, N°3 Revolver, N°5 Rubber soul, N°10 The white album, N°14 Abbey Road) .
- 12 albums de reprises et d’inédits depuis leur séparation
- 5 albums live tous sortis après leur séparation
Les Beatles sont pour toujours le groupe de tous les records, ils détiennent entre autres le plus grand nombre de numéros 1 au niveau international, le record d’audience aux Etats unis (hors super bowl) avec 70 millions de spectateurs du Ed Sullivan Show sur CBS le 9 février 1964. Il fut le premier groupe à se produire dans un stade (Shea stadium en aout 1965). Ils jouèrent même leur titre « All you need is love » en 1967 en mondiovision devant 700 millions de téléspectateurs.
En août 1969, les Beatles entrent dans le mythique studio EMI d’Abbey Road pour enregistrer ce qui sera leur dernier album, (« Let it be » paraîtra plus tard, mais il avait été en fait enregistré l’année d’avant).Il aurait dû s’appeler « Everest » mais la photo de MacMillan va changer ce projet.
La pression du photographe devait être folle devant ces 4 légendes et la folie qui les entouraient.
Si l’on en croit la Légende, la réalisation d’un tel cliché, qui demanda moins de 10 minutes de prise de vues, fut une idée de Paul McCartney qui avait esquissé ses idées pour la couverture, à laquelle Macmillan a ajouté une illustration plus détaillée.
Iain MacMillan, raconta cette prise de vue : « Je me souviens qu’on a demandé à un policier de bloquer la circulation pendant que j’étais sur l’échelle, à prendre les photos. J’ai pris une série de clichés des Beatles en train de traverser dans un sens. On a laissé quelques voitures passer, et puis je les ai photographiés pendant qu’ils traversaient dans l’autre sens. La photo qui a été finalement choisie était la cinquième, sur six prises. C’était la seule où leurs jambes formaient un V parfait, ce que je voulais pour l’esthétique ».
Ce cliché revêt aussi une signification toute particulière, car sur la photo retenue par le groupe parmi la série réalisée, on y voit les Beatles qui tournent le dos aux studios d’Abbey Road, comme si une page se tournait définitivement.
Un peu de technique maintenant. Nous sommes le 8 août 1969, à 11 heures 30, il fait chaud, Paul est pieds nus. Les « quatre garçons dans le vent » sont au croisement de Grove End Road et Abbey Road à Londres et MacMillan est sur une échelle d’où cette légère contre plongée
, il utilise un Hasselblad avec un objectif 50 mm, ouverture f22, à 1/500 (d’où la grande profondeur de champ et le mouvement bien arrêté des fab fours au niveau des pieds).
La photo est très bien composée :
Premier 1/3 horizontale, les jambes des Beatles, deuxième leurs corps avec cerise sur le gâteau la ligne des 1/3 sur leurs regards (sauf Ringo qui est plus petit). La ligne discontinue qui sépare les voix de circulation coupe l’image en deux créant une ligne de fuite. Les jambes des beatles sont arrêtées par la vitesse d’obturation mais les triangles formés avec le sol donnent une dynamique à l’image, on voit clairement qu’ils avancent.
Chose étrange quelque soit la version de la photo faite ce jour l’ordre du groupe est toujours le même John ouvre la voie suivie de Ringo, de Paul et Georges est toujours dernier, faut-il y voir une signification de l’état d’esprit des Beatles lors de cette photo pour ce qui sera leur dernier album ?
Au deuxième plan se trouve une coccinelle (beetle en anglais) garée sur le trottoir, MacMillan demande que l’on déplace le véhicule problème : le propriétaire n’est pas à proximité. Puisqu’il faut faire vite, la Coccinelle blanche fera donc partie du décor. Nous verrons plus loin que cette voiture prendra une importance capitale dans l’histoire de cette image. Au fond, on aperçoit d’autres véhicules – une camionnette de livraison noire, typiquement british, une Triumph, une Vauxhall .
En Haut à droite se trouve un homme, Paul Cole, touriste américain se trouvant là par hasard sans même comprendre qu’il sera sur la photo. Il entre dans le mythe et la Légende des Beatles sans pour autant connaître une once de célébrité.
Cette photo est d’une sidérante banalité, quatre personnes traversant simplement la rue comme n’importe qui, contrastant si violemment avec la célébrité du groupe qu’elle en devint presque instantanément une icône.
Le photographe dira plus tard pour expliquer le succès de cette image : « Je pense que la raison pour laquelle elle est devenue si populaire, c’est sa simplicité. C’est un cliché très simple et stylisé. C’est aussi une photo à laquelle les gens peuvent s’identifier. C’est un endroit où les personnes peuvent continuer à marcher. »
Le même jour MacMillan fera une deuxième photo d’un panneau qui servira de couverture arrière de l’album.
Sur celle-ci le photographe fait le choix d’une photo au ras du sol à une vitesse lente créant cet effet de flou dans le mouvement de la jeune fille comme pour retenir encore un peu le temps sur Abbey road et l’histoire des Beatles.
Linda McCartney fera elle aussi des photos « Off » de cette journée où l’on voit les 4 Beatles détendus.
MacMillan ne retravailla qu’à trois occasions avec les anciens Beatles : d’abord avec John Lennon et Yoko Ono pour la pochette du single Happy Xmas (War Is Over)et de la photo du disque Menlove Ave. Puis il immortalisa la parodie de la fameuse pochette pour l’album Paul Is Live de Paul McCartney. Sur cette photo, on voit McCartney traverser la célèbre rue avec son chien.
Une Rumeur
L’image d’Abbey road, au-delà de l’album va avoir une renommée incroyable car elle va, bien involontairement, servir de preuve à la célèbre théorie de la conspiration « Paul is dead » (Paul est mort).
Quelques semaines plus tôt Paul avait été victime d’un accident de voiture et la rumeur courait qu’il était mort et remplacé par un sosie (William Campbell, acteur américain). Cette photo en apportait la preuve.
Paul tient une cigarette dans sa main droite, or le vrai Paul est gaucher. Autre preuve Paul marche pieds nus, comme les Indien lorsqu’on les enterre, Ringo est en noir , couleur du deuil en Occident, Lennon est en blanc, couleur du deuil en Orient et l’on verrait sur le jean de Georges des traces de terre, comme si il avait enterré lui-même Paul. Mais la preuve ultime c’est la fameuse Coccinelle dont l’immatriculation, LMW28IF , signifierait Living McCartney Would be 28 if… (Vivant, McCartney aurait 28 ans si…).
L’innocente Volkswagen va ainsi entrer dans la légende des Beatles. Elle a été acquise aux enchères en 1986 par un collectionneur américain pour 23 000 dollars, ce qui est un peu cher, pour une Cox alors vieille de dix-huit ans.
En 1993 Paul McCarney fera modifier la plaque d’immatriculation de la coccinelle dans la pochette parodique de l’album « Paul is Live » pour P51IS « Paul a 51 ans ».
Une séparation
Epuisé par 7 ans d’enregistrement, de tournée, de tournage de film et d’excès de substance hallucinogène, ruiné suite à la perte de l’ensemble des droits sur leur musique, en pleine crise de leadership entre Paul et John le groupe décide de se séparer. Ils vont se réunir une dernière fois dans les studios EMI d’Abbey Road durant les deux mois de l’été 1969, bien décidés à mettre de côté leurs dissensions, à tirer dans le même sens, afin de « sortir sur une note élevée ».
Même si le succès est toujours présent, même si cette ultime collaboration est « heureuse » selon les acteurs — car tous savent que c’est la dernière fois — le plaisir de jouer ensemble ne les attire plus. Les Beatles disent ici, pour de bon adieu, aux Beatles, en montrant une dernière fois l’aspect miraculeux de leur association. « Tout le monde a incroyablement bien travaillé. C’est pourquoi j’aime particulièrement cet album » dira George Martin.
Le 10 Avril 1970 Paul McCartney annonce la dissolution du groupe : « et maintenant, on y est. Je n’ai pas quitté les Beatles. Les Beatles ont quitté les Beatles, mais personne ne veut être celui qui dira que la fête est terminée ». Ringo Starr déclarera de son côté : « Oui, j’étais dans les Beatles. Oui, nous avons fait des grands disques ensemble. Oui, j’aime ces gars. Mais c’est la fin de l’histoire ».
« J’ai fondé les Beatles et je les ai dissous, c’est aussi simple que cela » dira plus tard John Lennon, un peu énervé de s’être fait voler la vedette, jusque dans l’annonce de la séparation par Macca.
Ce que l’on voit surtout sur cette photo c’est que les Beatles ont changé. John a une énorme Barbe et les cheveux longs comme Georges qui est en jeans. Paul est pieds nus. On est loin des pochettes bien « proprettes » de leurs débuts et c’est la première fois qu’on les voit ainsi.
Une nouvelle aire s’ouvre, les 4 jeunes hommes tournent le dos au studio EMI ( au sens propre sur la photo). Chacun aura sa propre carrière. John sera assassiné 10 ans plus tard et verra avec lui disparaitre une certaine époque où l’insouciance a fait place à l’engagement politique. Paul créera un nouveau groupe, les wings. Georges organisera le concert for Bangladesh. Ringo restera Ringo.
Certains on voulu voir dans cette photo la mort d’un Beatles, tandis que c’était l’idée même des Beatles qui avait disparu.
En conclusion j’ai envie de vous dire qu’il ne faut jamais regarder une image dans le détail (une cigarette, une couleur de veste, une voiture mal garée) mais bien être attentif à l’histoire qu’elle raconte. La photo de Iain MacMillan, comme ses photos de Dundee ou du Book of London raconte l’histoire d’un monde qui disparaît. L’histoire de 4 jeunes gens qui ont grandi ensemble mais qui ne pouvait pas vieillir ensemble. L’histoire d’une génération que les révolutions économiques, politiques et culturelles allaient jeter dans un tourment inimaginable. Au lendemain de mai 68 et à la veille du choque pétrolier des années 70 c’était peut-être les derniers moments d’insouciance et je naissais avec dans les oreilles, grace à ma mère, encore un peu d’espoir.
Comme d’habitude je vous quitte en vous recommandant chaudement d’écouter l’album Abbey Road et si vous êtes un fan des Beatles je vous conseil vivement la lecture du site yellow-sub.net qui est une vraie mine d’information.
Et puis comme d’habitude je vous glisse pour finir quelques parodie de cette photo mythique.
Je suis qui moi ??
Nicolas . Je suis un photographe amateur, pas forcement très doué (je vous laisse juge sur mon compte Flickr) mais curieux . Enfant j’ai suivi mon père qui arpentait les rues de Marseille avec son appareil photo autour du cou et c’est à lui que je dois (entre autres) cette passion de la photographie. Je garde des souvenirs grandioses d’après-midis enfermé dans la salle de bain, changée en laboratoire de fortune, à regarder la magie (et quelques produits chimiques) transformer une idée folle, née dans nos têtes, en image.
Alors merci Papa.