Sylvain m’a donné l’occasion d’essayer de vous faire partager ma passion des images au travers des photos qui ont marqué ma vie de photographe amateur. Peut-être même arriverons nous, ensemble, à aller  au delà de la simple vision esthétique pour comprendre quels messages ont voulu nous transmettre ces maîtres de la photographie en appuyant sur le déclencheur.

Je vous propose de commencer par l’un des inventeurs du reportage de guerre: Robert Capa et sa célèbre photo «  la mort d’un républicain ».

Mort d'un milicien

Bon pour être factuel c’est une photo prise le 5 septembre 1936 ( oui ,ça fait 80 ans) qui  représente la mort, présentée comme réelle et prise sur le fait, de Federico Borrell García (24 ans), un anarchiste combattant dans les rangs républicains, durant la guerre d’Espagne.  On voit le soldat au moment de sa mort, tombant en arrière. Il est vêtu en civil, mais porte une ceinture-cartouchière, et le fusil qu’il tient de la main droite lui échappe. Les clichés de Capa sur les combattants loyalistes, dont celui du soldat mourant, sont publiés par le magazine français Vu, le 23 septembre 1936 (merci wikipedia). Robert Capa a 23 ans lorsqu’il prend ce cliché (je sais ça agace  tous les vieux de plus de 40 ans, comme moi, qui n’ont toujours pas fait une bonne photo).

En résumé  suite à une manifestation gauchiste Endre Ernő Friedmann, le vrai nom de capa, est chassé de sa Hongrie natale. Il s’installe en Allemagne, qu’il fuit à nouveau (il est juif) pour s’installer à Paris en 1934. En 1936 lui et sa compagne, Gerda Taro, ont une idée de génie, ils inventent  le marketing en créant le mythe (LA marque) : « ROBERT CAPA ». Capa est américain, Capa est chic, Capa est riche. Ce jeune homme a déjà vécu mille vies quand il décide en août 1936 de partir couvrir la Guerre civile espagnole aux côtés de troupes républicaines. Et voilà comment en septembre 1936, Capa se trouve sur une colline à Cerro Muriano au milieu des combats en train d’inventer (encore) le photo reportage de guerre. Il saisit  une des premières photos représentant la mort en direct.

Bon un peu de technique maintenant. Il s’agit d’une photo en noir et blanc (ah bon !!!), sans doute prise avec son Leica (sans qui le photo-reportage n’aurait jamais vu le jour, mais on en parlera une autre fois). L’image est prise en légère contre-plongée, Capa doit être très près de son sujet (« Si vos photos ne sont pas assez bonnes, c’est parce que vous n’êtes pas assez prés » disait il). Et pour le reste des éléments techniques deux versions s’opposent :

  • La photo a été prise dans des conditions réelles  de guerre

On constate  quelques problèmes de cadrage. En effet,  les pieds du milicien ainsi que la crosse du fusil sont coupés. C’est la guerre tout de même, on ne fait pas de la photo de mode.  Capa n’a pas le temps de centrer son sujet, il est surpris, il déclenche dans la précipitation. Il saisit l’instant fatal. La photo est floue, on est dans l’action et en plus il n’y a pas encore d’auto-focus (pour les plus anciens qui on fait de la street photographie en argentique : pour aller plus vite on pré-règle son appareil en  utilisant l’hyperfocale pour créer une zone de netteté, problème on est obligé de respecter une certaine distance prédéfinie lors du réglage et de fermer le diaphragme ce qui oblige à ralentir la vitesse d’obturation. Galère pour les scènes d’actions.

  • La photo n’est qu’un Fake

Il y ’a quand même quelques questions à se poser. D’abord la chance extraordinaire de Capa qui déclenche pile au bon moment  et qui saisit  la chute de milicien (qui semble ne pas avoir de blessures) dans une simultanéité impressionnante. Et puis ce cadrage n’est pas si dégueu que ça finalement : la jambe, le fusil et l’ombre forment un triangle qui donne du dynamisme à l’image. La tête du milicien est juste sur un point de force, comme son genou droit.  Capa utilise l’espace négatif  (ciel) qui symbolise la solitude du milicien face à la mort. Le temps est arrêté, on entend presque le bruit assourdissant du silence précédant le son lourd de la chute du corps sur le sol.

mort d'un milicien la règle des tiers

Alors réalité ou reconstitution ? Et bien j’ai envie  de vous dire qu’on s’en moque un peu (beaucoup).

D’abord parce qu’une photo ne dit jamais LA vérité mais bien UNE vérité : celle du photographe. Et pour cela nous faisons des choix techniques, conséquence de notre intention photographique :

  • La focale (vue générale ou focus sur un détail),
  • La vitesse (figé l’instant ou le laisser filer),
  • L’ouverture (qu’est ce qui sera net, qu’est ce qui sera flou),
  • Le cadrage (qui sera dedans, qui sera dehors).

Nous choisissons aussi l’instant précis ou nous déclenchons ( ¼ de seconde avant et Capa capturait un soldat courant, ¼ de seconde plus tard et c’était un soldat déjà mort)

Ces choix auront une influence directe sur la vision qu’aura le spectateur de la scène.

Même nous, photographes du dimanche, faisons se choix et donc sélectionnons une vérité : le fait que tonton Marcel ne soit pas sur la photo signifie-t-il qu’il n’était pas à l’anniversaire du petit dernier ?

La vérité est l’adéquation entre un jugement et la réalité dont il rend compte. Elle est la correspondance entre la représentation d’un objet et l’objet dont il s’agit de rendre compte.

La guerre d’Espagne a-t-elle existé, des hommes sont ils morts en courant sur une colline fauchés par des balles  «  franquistes » ?

L’intégrité du photographe ne doit être remise en question  uniquement que si la photo est le fruit du hasard sans aucune intention (cf facebook). Cette intention  qui doit être profondément ancrée dans la compréhension de ce qui se passe devant notre objectif et qui induit les choix techniques (et jamais l’inverse).

Capa était un journaliste, Capa était un extraordinaire « technicien »,  mais c’était aussi un sympathisant républicain. Alors oui sa photo est sans doute subjective, mais il n’invente pas une guerre dans un studio d’Hollywood. Il est au front ce jour de septembre 1936, il reconstitue une scène qu’il a vécue et qu’il vivra encore (d’ailleurs le milicien Federico Borrell García  pris en photo est vraiment mort ce jour là).

Au même titre qu’un tableau, la photo n’est pas une image de la vérité mais un témoignage. Reproche-t-on à Picasso d’avoir trahi la vérité en peignant Guernica (non, les chevaux n’ont pas des grosses têtes se terminant sur un petit corps sur une patte) ?

Robert Capa a inventé le photojournalisme et ses codes :

  • le photographe au plus pré de l’action (la contre plongée)
  • l’effet dramatique (la mort et le temps suspendus)
  • L’effet de flou (l’histoire en train de se faire sous nos yeux)
  • Un cadrage dynamique (le milicien qui court, l’espace négatif)
  • Une vision subjective (le choix d’un milicien et non d’un soldat franquiste)
  • La diffusion massive de l’image via la presse magazine en plein essor (internet n’existait pas encore)

Il appliquera ces codes à la guerre mais aussi à des sujets plus légers comme le tour de France.

Capa a été sur tous les fronts de guerre de cette moitié du 20ème siècle. Il est le seul journaliste à avoir débarqué sur les plages françaises le 6 juin 1944, ramenant 11 photos (autour desquelles rodent une autre polémique, dont nous reparlerons peut être un jour). Sa compagne Gerda Taro est morte lors de combats à Madrid en 1937, écrasée accidentellement par un char républicain. Il est mort en sautant sur une mine au Tonkin en 1954. Personne plus que Capa, n’a représenté la vérité de la guerre.

Pour en savoir plus je vous conseille la lecture du roman «  En attendant Capa » de Susana FORTES qui fait revivre cette période de la vie de Capa, vue par Gerda Taro.

Je suis qui moi ??

Nicolas Aubert. Je suis un photographe amateur, pas forcement très doué (je vous laisse juge sur mon compte Flickr) mais curieux . Enfant j’ai suivi mon père qui arpentait les rues de Marseille avec son appareil photo autour du cou et c’est à lui que je dois (entre autres) cette passion de la photographie. Je garde des souvenirs grandioses d’après-midis enfermé dans la salle de bain, changée en laboratoire de fortune, à regarder la magie (et quelques produits chimiques) transformer une idée folle, née dans nos têtes, en image.

Alors merci Papa.

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